Feuilleton Veaugeois 4 : Nicolas Marin, soldat perdu de l'Empire

Ce post est dédié à l'arrière grand-père de Julien Louis Jean Veaugeois. Il est le premier membre de la famille à disparaître sans que l'on connaisse son sort.

En uniforme du 1er bataillon de la 76e demi-brigade, Nicolas Marin devait ressembler à ça.
C'est un enfant sans père né à Roquemaure le 6 novembre 1775. Sa mère Élisabeth Marin est décédée le 14 avril 1808 à Roquemaure, à l’âge de soixante-sept ans et semble ne jamais avoir été mariée. Cet ancêtre maternel des Veaugeois est l'intrus méridional d'une généalogie sinon très localisée autour de la marche de Bretagne.

Nicolas Marin a treize ans lorsque commence la Révolution, seize lorsque la République est proclamée et affronte l'Europe des rois et des princes coalisée contre elle. Après une première vague de recrutements de volontaires en 1792, la Convention décrète la levée en masse le 23 février 1793. Tous les hommes célibataires de 18 à 25 ans subissent un tirage au sort dont l’objectif est d’envoyer 300 000 d’entre eux sous les drapeaux. Nicolas Marin est du nombre.

La 76e demi-brigade est créée le 1er germinal an II (21 mars 1793), succédant à la première demi-brigade légère des Chasseurs de Provence. Un grenadier simple soldat touche 11 sous et 6 deniers par jour. C’est un salaire modeste, une lavandière gagne 10 sous en hiver, 15 en été. La 76e demi-brigade est d’abord intégrée à l’Armée du Nord. La 76e reçoit le baptême du feu le 28 germinal an II (17 avril 1794), au combat du Cateau, près de Valenciennes. Ce sont des combats violents, où le fusil à baïonnette est plus souvent une arme blanche qu’une arme à feu.

À la fin de Vendémiaire an III (octobre 1794), les 1ers et 2e bataillons de la 76e sont dirigés vers la Vendée insurgée, sous les ordres du général Hoche. Dans un premier temps elle occupe Alençon (Orne). Mais la guerre de Vendée est une guérilla. Les Chouans de l'armée «catholique et royale» multiplient les escarmouches et il n’est plus question de bataille rangée comme à l’armée du Nord. On se bat par petits détachements, mobiles, qui doivent jouer sur l’effet de surprise, comme en juin 1795, à Saint-James (Manche).

En Thermidor an III (été 1795), la 76e est chargée de réduire une troupe de 5 000 à 6 000 Chouans rassemblée pour marcher sur Château-Gontier (Mayenne). Elle se bat à Château-Gontier, Laval et Évron. Nicolas Marin entre dans Laval le 25 thermidor an III (12 août 1795). C’est peu après qu’il rencontre Marie Gasnerie, avec qui il se marie quelques semaines plus tard, le 19 fructidor an III (6 septembre 1795). Deux camarades de régiment lui servent de témoins. Contrairement à eux, Nicolas est illettré, il ne sait pas signer.

Son mariage ne rend pas Nicolas Marin à la vie civile. Il est absent à la naissance de son fils Nicolas Pierre le 15 janvier 1797 à Laval et toujours désigné comme membre de la même unité. En août 1796, les combats contre les insurgés ont cessé. La 76e demi-brigade est réorganisée. Nicolas eut la chance de ne pas faire partie des 899 tués de cette campagne. Au mois de septembre 1796, la 76e réorganisée quitte le dépôt de Laval pour marcher vers Strasbourg. La troupe vit dans le dénuement. Faute de pouvoir payer ses fournisseurs, elle vit sur le pays et ne parvient dans la capitale alsacienne qu’en novembre 1796. Une fois arrivée, elle est affectée à la fortification et à la défense de l’île d’Erlhen-Rhein, sur le Rhin, qui sert de passage entre Strasbourg et Kehl. Le soir du 20 frimaire an V (10 décembre 1796), les troupes autrichiennes de l’archiduc Charles de Habsbourg chargent. Le 1er bataillon de la 76e est en première ligne et repousse l’assaut. Après plusieurs semaines de résistance, les fortifications de l’île de Kehl étant anéanties, le général Desaix fait évacuer la 76e le 20 nivôse an V (9 janvier 1797). La troupe bénéficie alors de trois mois de repos à Strasbourg. Y aller n’est pas une mince affaire, plus aucun d’entre eux n’a de souliers aux pieds. Pas grand-chose à faire pour s’y distraire non plus, la solde n’est pas payée car les caisses sont vides.

Nicolas Marin est démobilisé courant 1797, sans doute à l’occasion d’un armistice négocié en mai. Rentré à Laval, il est à nouveau père le 26 thermidor an VI (13 août 1798), d’une petite Marie, qui ne survit pas longtemps. Il réside rue des Lices et déclare comme profession celle, très modeste, de travailleur à la journée. Il ne le reste pas longtemps, en novembre 1798 il est déclaré comme cotonnier.

Il naît encore dans son foyer une nouvelle Marie, en 1799 et un Jean en 1801. Nicolas est alors devenu lavandier, ce qui est peu courant pour un homme.

Le 30 novembre 1805 sa femme Marie Gasnerie accouche d’un garçon sans vie. Elle n’y survit pas et décède le même jour. Sa belle-mère Marie Chesnais, veuve Gasnerie, est très présente auprès de ses petits-enfants.

En 1808, il se remarie avec Françoise Guilmin. Il a encore deux enfants : Louis, qui ne vit que quelques semaines en 1809, et Françoise, en 1811. En 1813, il se rengage dans l’armée. Pourquoi, alors qu’il a des enfants en bas âge et une femme, fait-il ce choix ? Mystère.

Un acte de notoriété du 8 décembre 1818 le déclare absent. Le juge de paix, après avoir nommé les témoins, écrit : « Lesquels (...) nous ont unanimement déclaré que ledit Nicolas Marin est absent du pays depuis dix-huit cent treize, époque où il partit pour l'armée en qualité de militaire, que depuis ce temps il n'a donné qu'une fois de ses nouvelles et ce peu de temps après son départ. » Donner de ses nouvelles ne devait pas être simple pour un illettré.

Faute de savoir dans quelle unité il s’est engagé en 1813, il est impossible de suivre ses déplacements, sans doute dans la campagne d’Allemagne où Napoléon affronte la Sixième coalition. La date et le lieu de sa mort restent pour le moment une énigme.



Toutes les informations sur le 76e régiment d'infanterie sont tirées des deux ouvrages suivants : 
- Commandant du Fresnel, Un régiment à travers l'histoire : le 76e, ex 1er léger, Paris, Flammarion (1894)
- L. Landais, histoire du 76e régiment d'infanterie depuis 1677 jusqu'en 1873, Paris, Dutemple (1874)

Pour tous les posts de ce feuilleton, je suis demandeur de retours et de suggestions pour aller plus loin dans mes recherches. 

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