Feuilleton Veaugeois 1 : « ma grand-mère était une d'Auvernay de la Couvrie » ou l’évaporation d’une légende familiale
Le gigot haricots du dimanche, synonyme d'ennui gastronomique autant que familial pour beaucoup, évoque pour moi plutôt de bons souvenirs. Surtout lorsqu'il y avait des cousins
chez mes grands-parents en même temps que moi pour jouer après le déjeuner. Et
même lorsque ce n’était pas le cas, écouter mon grand-père raconter des
épisodes choisis de sa jeunesse ne m’ennuyait pas. C’était plutôt moi, avec mes
questions et relances, qui l’ennuyait. Car le rapport de mon grand-père au
passé familial était pudique, pour ne pas dire secret et il préférait mettre en
avant ce qui ne nous mettait pas collectivement, nous les Sebert, en posture
fâcheuse.
Parmi les figures hautes en
couleur de l’imagier grand-paternel, il y avait la grand-mère Fourneaux. Ce
n’était pas vraiment sa grand-mère en fait, plutôt une tante de sa mère qui avait élevée celle-ci. Pourquoi ? C’était bien vague et il revenait plutôt à ce
qui l’intéressait chez cette digne femme, qui écoutait Radio Londres dans sa
maison de Mouen malgré l’officier allemand qui occupait l'une de ses chambres. Et
comme sur la fin de sa vie elle avait l’oreille un peu dure, elle mettait sa
TSF assez fort. Papi nous la racontait dire crânement au
« boche » : « c’est pas vous qui m’en empêcherez ». Il
se souvenait bien de sa mort, pendant le deuxième exode, celui du débarquement,
à Creully. Et surtout, il attribuait le maintien, le langage châtié et la
dignité imperturbable de sa quasi grand-mère à de prestigieuses origines
familiales, les d’Auvernay de la Couvrie.
Aujourd’hui un tel récit me
précipiterait illico sur Google. Et le « aucun résultat trouvé »
m’entraînerait dans une vaste quête de variantes orthographiques d’une fausse
piste à une autre. A l’époque je suis allé en bibliothèque, où j’ai consulté
des index d’armoriaux et de nobiliaires, sans succès. J’ai bien trouvé une
famille d’Auvernet illustrée à la fin du Moyen-âge, mais rien de plus récent.
Je me suis beaucoup interrogé
dans la suite de mes recherches sur les Veaugeois sur cette figure, j’aurai
largement l’occasion d’y revenir. Lors de mon premier déplacement aux archives
de la Mayenne il y a vingt ans, en découvrant la présence d’une Pauline
Dauverné au recensement de Laval en 1886 dans le foyer des Veaugeois, rue des
Orfèvres, j’ai eu une idée de sa date de naissance. Un coup d’œil aux tables
décennales m’a donné une date de naissance, le 8 novembre 1869. Fiévreusement
je suis allé consulter l’acte de naissance, dont la mention marginale m’apprend
qu’elle s’est mariée le 19 décembre avec Hippolyte Benjamin Fourneaux à
Croisy-sur-Andelle (Seine-maritime). Elle est fille de Camille Dauverné. Pas de
particule, une seule moitié du nom, le papa est menuisier, puis concierge du palais de justice à Laval. Allons, me dis-je,
la révolution est passée par là il faut chercher plus loin. J’ai remonté les
Dauverné jusqu’au XVIIIe siècle, découvrant un relieur et un lieutenant de
gendarmerie, mais pas plus de d’Auvernay de la Couvrie que de beurre en broche.
Lorsque j’en ai parlé à mon grand-père, il s’est
rembruni et a vite coupé court. Mais rien ne m’indiquait qu’il était au courant
de ce que je venais de lui apprendre. Ma grand-mère m’a indiqué plus tard que
cette révélation lui avait fait de la peine : il croyait sincèrement à
cette légende familiale, qui embellissait un peu une généalogie pas si
lointaine faite de disparitions mystérieuses et d’enfants sans père. Sa
grand-mère de cœur avait menti sur un point, cela voulait-il dire qu’il y avait
d’autres vérités cachées dans cette branche ? Quels autres secrets cachait ce visage souriant et frêle, un peu flou sur les rares photos où on le voit parmi d'autres ? Cela fait plus de vingt ans que je chercher à les découvrir. J'ai obtenu quelques réponses, suivi beaucoup d'impasses de recherches et je me retrouve avec encore beaucoup de questions. C'est cette quête inachevée, et peut-être inachevable, que je vais partager ici.
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