Feuilleton Veaugeois 9 : Naissance de Georgette Veaugeois, de père inconnu, et disparition de Julia

Georgette Sebert, née Veaugeois, à la fin des années 1940 (photo Bernard Sebert)

Je n'ai aucune photo des Veaugeois du XIXe siècle, j'ignore tout de l'apparence physique de Marie Hoyau. Comment savoir alors ce qui dans les traits de ce visage de femme mure pourrait venir d'une mère disparue sans laisser d'adresse ou ce qui la ferait ressembler à un père inconnu ? 

Si je retrouve en elle quelques traits du visage un peu austère de mon grand-père, je sais qu'il ressemblait aussi beaucoup à son père. Ce que je sais du caractère de Georgette, je le dois bien peu à son fils qui n'aimait guère parler d'elle. C'était peut-être une manière de la respecter après sa mort plutôt que d'en dire du mal. Il n'était pas du tout dans le caractère de mon grand-père de dévoiler ses sentiments, à part à sa femme, encore moins de se répandre sur ses blessures intimes. Si j'ai pu comprendre un peu la difficulté de leurs relations et le caractère de mon arrière-grand-mère, c'est grâce au meilleur ami de mon grand-père, qui a connue Georgette lorsqu'il était enfant et ensuite jusqu'à sa mort. Mais les souvenirs du frère de cœur de mon grand-père sont impuissants à évoquer la petite fille et la jeune femme qu'elle fut.

Georgette est né le 3 novembre 1898 à Mayenne, à la maternité de l'hospice dépositaire. Jusqu'à récemment, je m'étais focalisé sur le fait qu'elle était née loin de Laval et des regards des voisins. Je pensais à Mayenne comme à une ville où sa famille avait déjà vécu. Et inexplicablement, je n'avais pas prêté attention à l'hospice dépositaire en lui-même. Or la vocation de ces établissements était d'accueillir les enfants assistés. Un article intéressant du dictionnaire Buisson en fait mention. J'ai donc envoyé la semaine dernière un courrier à l'aide sociale à l'enfance de la Mayenne. S'agissant d'une naissance de moins de cent-cinquante ans, ils devraient encore avoir des dossiers. Quant à savoir s'ils sont complets, si je pourrai y avoir accès ou même si j'aurai une réponse de l'ASE...

Georgette nait dans la soirée, à 21 heures. Le plus urgent est accompli le lendemain 4 novembre : elle est baptisée à l'église Saint-Martin. Georgette n'a pas eu de parrain, c'est Florence Dauveau, une sage-femme de 37 ans qui lui sert de marraine. C'est la même personne qui déclare Georgette à l'état-civil  de Mayenne le 5 novembre 1898, à 15h30.

Le 14 novembre 1898, Julia Veaugeois se présente à la mairie de Laval à 11h00, accompagnée de Marie Hoyau et d'Armande Rabardy. Elle vient officiellement reconnaître sa fille et déclare à nouveau comme domicile celui de sa tante, au 64 rue de Beauvais. Depuis 2006, la présence du nom de la mère dans l'acte de naissance d'un enfant vaut reconnaissance, ce n'était pas le cas à l'époque de la naissance de Georgette. Voici les signatures de Julia, à gauche, et de Marie, qui signe "f. Hoyau".


Rien ne me dit que Georgette est à Laval chez sa mère et sa tante. D'après la tradition familiale, c'est à la naissance que Georgette a été abandonnée. Je ne comprends pourquoi elle a reconnu sa fille au lieu d'accoucher sous X si elle ne voulait pas la garder avec elle. A-t-elle changé d'avis ? Y-a-t-elle été contrainte ? 

Et puis reste la grande question, celle à laquelle je pense ne jamais avoir de réponse : qui était le père de Georgette ? J'en suis bien sûr réduit aux hypothèses. Par analogie aux autres situations d'enfant sans père à la naissance que je connais à la même époque, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un soupirant de Julia avec qui elle aurait "fêté Pâques avant les Rameaux" comme disait ma grand-mère. Dans ce genre de situation, un mariage tardif voire même postérieur à la naissance avec reconnaissance de l'enfant se rencontre souvent. S'il s'agit d'un soupirant de Julia, il ne voulait pas ou ne pouvait pas se marier.

Je me suis longuement demandé si le prénom même de Georgette était un indice. Il n'y a ni Georges ni Georgette dans toute la parenté connue de Julia. Le choix du prénom était-il une manière pour Julia de rattacher sa fille à un père prénommé Georges ? Ce n'est pas impossible mais la fin du XIXe siècle est une période où le choix des prénoms commence à s'affranchir d'une logique de reproduction familiale : les effets de mode, la politique et la littérature commencent à s'en mêler. Julia a peut-être choisi ce prénom simplement parce qu'il lui plaisait.

Si je pars du principe que le père de Georgette n'était pas disponible pour se marier, et non qu'il ne le désirait pas, se peut-il que la relation entre Julia et lui ait été scandaleuse : adultère, incestueuse, non consentie ? Doit-on chercher le père dans la famille Hoyau ? 

Et Julia, que devient-elle ensuite ?  Elle n'est plus à Laval, elle ne suit pas la famille Hoyau à Rennes. Est-elle allée retrouver son père s'il était encore vivant et qu'elle savait où le trouver ? 

L'état-civil n'a pas reçu de mariage ou de décès à noter en mention marginale, ce qui me conduit à penser que soit elle ne s'est jamais mariée et est décédée avant 1945, date à laquelle les mentions marginales de décès se généralisent, soit qu'elle a émigré. Sur l'acte de mariage de sa fille en 1920, rien ne laisse à penser qu'elle est décédée. Mais savait-on seulement où la trouver ? Comme Georgette n'avait pas encore trente ans, la loi du 21 juin 1907 l'obligeait à faire à sa mère une notification de son projet de mariage. L'acte n'en fait pas mention mais les dispositions légales des articles 154 et 155 du code civil en vigueur à l'époque sont si précises que je vois mal comment Georgette aurait pu s'y dérober, d'autant que l'officier d'état-civil qui aurait omis cette formalité aurait écopé d'une amende. C'est un acte notarié, visé pour timbre et enregistré gratis, qui doit notifier le projet de mariage au parent. Si le parent est absent ou son domicile inconnu, le cas est prévu aussi. Georgette aurait dans ce cas dû présenter un jugement d'absence, à défaut un jugement ordonnant une enquête pour ce motif ou au pire un acte de notoriété délivré par le juge de paix du dernier domicile connu de Julia, établi sur la base de quatre témoignages. Voila de quoi chercher lors d'un prochain passage aux archives de Caen. 

Dans les prochains épisodes, je m'intéresserais à l'enfance de Georgette et à ceux qu'elle considérait comme ses vrais parents : Pauline Dauverné et son mari, Hippolyte Fourneaux.

Comme pour chaque épisode de ce feuilleton, les commentaires et les suggestions de recherche pour aller plus loin sont particulièrement bienvenues.

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