Le procès Daygouy 12- Seigneur mais pas noble, l'affaire Daygouy contre Salesses.

Le curieux clocher tors de Saint-Côme d'olt (source : wikimedia commons)


Certains témoignages surnomment Jean-Baptiste Daygouy "le chevalier". Sa mère était noble, son père prétendait l'être. Le citoyen Daygouy savait en fait habilement jouer sur les deux tableaux : acheteur de bien nationaux d'un côté, rentier féodal qui tente de ne pas perdre tous ses droits de l'autre. Grâce à deux documents accessibles à tous par le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France, j'ai pu retracer un autre procès, civil celui-là, et qui a fait jurisprudence.

La question de départ est assez simple : la rente que la famille Daygouy possède depuis 1760 sur le moulin de Saint-Côme a-t-elle été éteinte par l'abolition des privilèges en 1789 ?

Depuis un acte notarié de 1696, le seigneur de Saint-Côme a fait une location perpétuelle à la famille Salesses du moulin banal de Saint-Côme. Un moulin banal est une sorte de monopole seigneurial. Pour le seigneur, son existence l'oblige à l'entretenir et à le tenir à disposition des habitants de sa seigneurie. Pour les habitants de la seigneurie, ils sont obligés d'utiliser cet équipement et de payer cette utilisation. Ce système a pris fin avec l'abolition des privilèges, votée par l'Assemblée constituante dans la nuit du 4 août 1789. Les privilèges ne sont dans un premier temps pas purement supprimés : ils sont rachetables. C'est seulement le 17 juillet 1793 que la Convention supprime la nécessité du rachat.

La rente annuelle due pour le moulin de Saint-Côme était de 450 livres. Le 19 septembre 1760, le seigneur de Saint-Côme cède la rente sur le moulin banal à Bernard Daygouy. Dans l'acte de notaire qui en fait foi, la rente est qualifiée de seigneuriale.

Lorsque les privilèges sont abolis, les descendants de la famille Salesses cessent de payer. Bernard Daygouy était alors décédé depuis six ans et c'est son fils qui a hérité de la rente. Il décide bien sûr d'essayer de continuer à percevoir ce revenu.

Le 14 floreal an IX (4 mai 1801), le tribunal d'arrondissement d'Espalion déboute Jean Baptiste : la rente est seigneuriale d'après l'acte de notaire de 1760, et comme tout seigneur, même roturier, le droit qu'il avait dessus est aboli.

La cour d'appel de Montpellier décide, les 13 pluviose (2 février) et 24 ventose an X (15 mars 1802) que la rente n'est pas seigneuriale, mais foncière. Cela devient très technique, mais la controverse porte sur deux points : le possesseur d'une telle rente peut-il être considéré comme un propriétaire et avoir les mêmes droits ? La rente pouvait-elle être réduite ? A ces deux questions, le tribunal d'appel de Montpellier répond négativement en s'appuyant sur une doctrine un peu acrobatique issue du droit romain et de la jurisprudence d'ancien régime du Parlement de Toulouse.

Les Salesses sont naturellement mécontents de ce jugement et se pourvoient donc en Cassation. L'arrêt du 7 ventose an XII (27 février 1804) leur donne finalement raison, en s'appuyant sur l'articule 38 du titre 2 de la loi du 15 mars 1790. Jean-Baptiste n'a pas présenté de défense auprès de la Cour de cassation. Pour la Cour, le bail de 1696 avait bien pour objet un droit de banalité, qui a été aboli. Les redevances dues pour la période d'août 1789 à juillet 1793 doivent donc être réduites et il n'y a plus de droit à en percevoir par la suite.

Bien que procédurier, Jean-Baptiste Daygouy ne gagnait pas toujours ses procès.

sources : 
- recueil général des lois et des arrêts, féodalité, chapitre III, section II, pp 514 et 515
- jurisprudence générale du royaume, 236 à 245.

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